Ailleurs qu’à Athènes, les parcs et les jardins publics peuvent parfois favoriser la sieste... citoyenne, comme cette semaine, près de la forteresse à Trikala, dans la région de Thessalie. La Grèce peut alors s’assoupir, la “grève” des enseignants a tourné au fiasco, sauf que le gouvernement a déjà saisi l’occasion pour froisser la “Constitution” et pour en finir avec le droit de grève par la même occasion, le pire est toujours à craindre. Les syndicats enseignants quant à eux, après avoir tergiversé durant une petite semaine, se sont rendus à l’évidence: se mettre en grève en période d’examen pour les élèves, alors qu’on a déjà vu passer trois phases du mémorandum sans réellement réagir, c’est d’abord triste et surtout, cela prouverait la fin du syndicalisme institutionnalisé, issu du siècle précédent. Fin des classes.
“Solidarité avec la lutte des enseignants”. Trikala, le 15 mai |
“Solidarité avec la lutte des enseignants”, pouvait-on lire encore hier sur une banderole déployée devant la statue du dieu Asclépios, visiblement dépourvu de tout pouvoir guérisseur. Il aurait été également et dans l'épopée homérique un héros thessalien mais plus personne n’y prête attention, et comme pour la banderole. En ce moment, la Grèce se démobilise et avec... l’aimable participation des pratiques issues du vieux cadre hérité des temps d’avant. Comme cette messe par exemple, organisée par l’office liturgique de l’archevêché de la ville, “en soutien aux lycéens qui en ce moment, subissent les examens d'entrée à l'Université”. Et on découvre alors cette affichette de l’Église, à cinquante mètres de la banderole, c’est dire combien nos univers entremêlés, témoignent de certaines façons d’être ou d’agir, temps de crise alors ou pas, peu importe.
L'affichette de l'Église. Trikala, le 15 mai |
Et aux éparchies de la crise, c’est souvent l’inachevé et le finissant qui règnent alors en maîtres, parfois même, en s’ignorant mutuellement. En témoignent, ces manifestations et marches pour la paix, en mémoire de Grigoris Lambrakis, mort le 27 mai 1963 à Thessalonique, médecin, athlète célèbre et surtout homme politique de la gauche grecque dont l'assassinat, fut le sujet du roman et du film Z en son temps. Mardi 15 mai à Trikala, cette marche organisée par le comité local, proche du PC grec, le KKE, n’a pu réunir qu’une poignée de personnes au beau milieu des promeneurs du soir, visiblement indifférents. Fatalement, de nombreux stéréotypes tombent avec la crise. Suite à ses usures et par ses usages, c’est le temps nouveau qui s’impose, tel un implacable magicien. Ce n’est guère le Grand Soir, mais certainement, la grande mutation, car certes, tout devient alors possible... sauf que c’est dans l’inimaginable.
En mémoire de Grigoris Lambrakis, SYRIZA de la ville de Trikala, mai 2013 |
Marche pour la Paix. Trikala, le 15 mai |
Cela fait longtemps déjà que nous nous sommes éloignés entre autres, de la philosophie de l’existence propre aux montagnards du département. Comme pour ces Crétois, jadis si bien observés par l’anthropologue américain Michael Herzfeld, tous ces habitants, pour qui la valeur suprême dans l’existence fut une certaine attitude de défi face à la vie, face à la mort mais encore, face à toutes les valeurs essentielles qui leurs étaient si chères, y compris par la dérision. Près de quarante ans de consumérisme effréné, puis la crise, ont rendu notre pays si dérisoire, que la dérision s’est tue. Et si les gens rigolent parfois dans nos cafés, ce serait par une forme mimétisme, ou par un jeu de miroir. Oui, ces cafés de la ville, qui à leur tour, ne sont plus aussi fréquentés qu’avant, autant que les panneaux publicitaires ne signifient enfin plus rien aux passants qui ne lèvent plus leurs yeux et pour cause. Au moins, et là c’est positif pour une fois, les Trikaliotes, déjà grands pratiquants du vélo, en rajoutent dans cette pratique et c’est pour cause de crise.
Les cafés de la ville. Trikala, le 15 mai |
Trikala, mai 2013 |
Dirions-nous, que c’est aussi d’une forme de décroissance qu’il s’agit dans un sens, sauf qu’elle est socialement sélective, “et de classe”, comme le diraient certains marxistes, sans trop s’y tromper. En tout cas, et pour dix boutiques qui ferment, il y aurait une nouvelle ouverture, mais cette fois et presqu’exclusivement dans la restauration. Dernière remarque, tout le monde observe ici, car la ville est petite, combien les couches aisées du département fréquentent toujours bien certaines tavernes, ces dernières, devenues d’ailleurs depuis deux ans, totalement inabordables pour les trois quarts de la population qui en est exclue. Malgré certaines apparences, la richesse Trikaliote se relativise jour après jour, jusqu’à disparaître pour la majorité des habitants. La dite richesse, déjà selon les critères de l’ancien temps au moins. “Détrompes-toi, ici aussi il y a certaines personnes qui cherchent dans les poubelles tous les jours, comme nos chats adespotes, c'est certes moins grave qu'à Athènes mais c'est déjà très mal engagé, j’en vois tous les jours”, assure mon ami Damianos l’instituteur. “C'est calme, c'est terminé et c'est acquis, contemplons la fin, tant que nos salaires restent encore versés, même à moitié”, ajoute-t-il.
Boutiques en faillite. Trikala, mai 2013 |
Nouveau bistrot. Trikala, mai 2013 |
D’autres commerces, fermés depuis fort longtemps et sans rapport avec la crise actuelle, en rajoutent dans une certaine nostalgie, telle est l’ambiance dans nos provinces en ce moment, et cela, vaut parfois le détour, voire même le retour. L’ami Lakis, originaire du Nord de la Grèce, a démissionné il y a dix mois de son poste de cadre dirigeant au sein d’une grande entreprise à Athènes, pour s’installer près du domaine familial à Kavala. Il a aussitôt retrouvé du travail digne de son rang comme il dit, sauf que son épouse est depuis au chômage. “Ce n'est pas grave, elle s'occupe de la petite et du potager, car désormais, nous avons aussi un potager, nous n'aurons pas faim au moins lors de l'effondrement final tandis qu'à Athènes... je crains le pire”, estime Lakis.
“D'autres commerces”. Trikala, mai 2013 |
Yannis, habitant un village Trikaliote, employé à la Poste, a une autre stratégie. Il est en congé paternité depuis six mois. Fier de son fils, pour l’instant unique, il envisagerait même, l’avenir autrement: “Pourquoi ne pas profiter de ce congé ? De toute manière, tout est provisoire dans ce pays. Et en plus, je profite de mon fils, il est déjà bien fort non ? Il deviendra footballeur ou sinon paysan, comme moi-même bientôt. J'ai placé toutes mes économies... dans le futur je crois. Cet euro de m... ne vaudra plus grand-chose un jour, je le crains en tout cas. J’ai acheté chez le pépiniériste du coin, 1750 futurs arbres, car il faut qu’ils grandissent, d'une des meilleures grenades de bouche, une variété également très appréciée pour son jus. J’ai payé cinq euros pièce. Je vise aussi l’exportation, cela prendra par contre cinq ans minimum, je ne suis pas pressé, j’ai installé mes poules, puis le cochon et deux chèvres arriveront cet été. Nous ferons tout par nous-mêmes, sans aides, ni subventions européennes à la limite, ce village a de l’eau et de la bonne terre. Cela suffira... Ah oui, tous ces jeunes qui partent en Allemagne pour devenir les galériens des compatriotes restaurateurs, et pour à peine mille euros par mois, agissent de la sorte parce qu’ils sont des aliénés, je veux dire qu’ils ignorent volontairement le travail de la terre. C’est triste. Plus d’une centaine de jeunes ont ainsi quitté le village pour l’Allemagne en moins d’un an, mais certains reviendront, je le vois déjà.”, explique Yannis.
Le futur de Yannis. Région de Trikala, mai 2013 |
Trikala scrute en ce moment son passé composé, et s’imagine un futur que l’on plante paraît-il dès à présent. C’est pourtant compter sans la caste des libres chez nous, à savoir les élites. En ce jeudi, 16 mai, les medias mainstream ont montré en boucle, les images de “notre” Antonis Samaras en Chine, où il se trouve en visite officielle, “la Chine détient plus de capitaux que les États-Unis, elle peut alors investir massivement chez nous” martèlent alors les journalistes. Mais la Chine est déjà là dans un sens. La véritable grande nouvelle du jour ne passe d’ailleurs pas à la télévision.
“La Grèce fait son entrée dans une sorte de “Zone Asie”, pour ce qui est du marché du travail déjà. Loin des projecteurs, la visite de cinq jours à Athènes, d’une nombreuse délégation composée de spécialistes et de technocrates issus de la Banque mondiale (World Bank) passe inaperçue. Pourtant, le principal objectif, est l’encadrement du processus et des mutations, quant aux relations au travail en Grèce, le tout, dans un marché qui prend inexorablement la voie de la Chine. En effet, les technocrates de la Banque mondiale (et qui arrivent en Grèce, en partenaires à la gouvernance économique imposée au pays par le FMI, l'UE et la BCE), sont déjà sur place depuis lundi, et ils achèveront leurs contacts demain matin, lors d’une réunion, en présence du ministre du Travail et de la Sécurité sociale”.
“D’après nos sources, ils apportent leur savoir-faire, ainsi que leur expertise, aux ministères, aux autorités et organismes locaux, ainsi qu’à certaines ONG installées en Grèce. Il s'agit notamment de superviser la création des zones économiques spéciales et à travers un processus, dont les principes et les réalisations du dit “premier monde” seront défaits, au profit d’une territorialisation, induirait une autre fiscalité ainsi qu’un autre droit du travail, à l’image de ce qui se passe en Asie du Sud-est par exemple. Parmi ces experts, il y a, Ramya Sundaram, elle a rédigé le “Satisfaction with life and service delivery in Eastern Europe and former Soviet Union” pour le compte de la Banque mondiale, elle est également experte chez Nathan Associates. Dirk Reinemann, un expert de nationalité allemande, il dirige l’antenne de la Banque mondiale à Bruxelles, et il a plus de dix ans d’expérience de terrain, pour ce qui est des économies comme du Nigeria, de la Bosnie et de l’Afrique du Sud. Ana Revenga ayant travaillé en Asie du Sud-est, et enfin, Margaret Grosh, spécialiste dans la gestion de la pauvreté en Amérique Latine et dans les Caraïbes...” (Quotidien “Avgi” du 16 mai 2013 )
Mais à Trikala, et à l’heure de la sieste, nous n’aurions rien vu venir...
Trikala, le 14 mai |
* Photo de couverture: Sieste à Trikala, le 14 mai 2013