Greek Crisis
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Monday 7 October 2013

Traversées/Crossings



Il y a des moments où notre temps restant finit par s’emmurer pour de bon. C’est seulement dans ce sens, que certains se décident cependant d’y échapper... comme ils le peuvent, c'est-à-dire, en le brisant. Ultimes recours. Je me trouvais sur l’île de Chios pour un bref séjour parmi mes amis, lorsque la nouvelle venue avec la houle d’en face et de l’île de Lesbos, mit son terrible grain de sel dans nos débats déjà bien animés. Pavlos Fyssas venait d’ailleurs tout juste d’être assassiné par l’Aubedorien Yorgos Roupakias. Depuis Kardamyla sur l’extrémité nord de Chios, et au beau milieu de nos causeries, nous jetâmes alors un regard bien muet vers les montagnes de Lesbos.

Tiens voilà, toute notre enfance c'est cette petite baie”. Chios, septembre 2013

Nous ne connaissions pas Manolis Marolias, cet enseignant, poète et chroniquer, vivant près de Skala Sykamias, village côtier situé au nord de l’île de Lesbos. Manolis, 58 ans publiait parfois ses chroniques dans la presse locale. Il fustigeait ainsi les attitudes idiotes d’en haut comme d’en bas, il détestait les hypocrisies, autant que les illusions systématiques et systémiques d’un corps social à la dérive.

Samedi 21 septembre, Manolis nous a alors accordé son ultime publication. “À nous tous. Hélas, ce qu’il y a de plus hideux et de si flagrant règne désormais sur notre pays, tel un cercle du sens orchestré par les ténèbres. Étant conscient qu’un seul grain de sable de la vérité est mieux capable à mobiliser les énergies que tout un agrégat entier d’illusions, ainsi qu’étant de pleine sobriété - à la manière de sentir le parfum de jasmin - j’ai alors décidé de volontairement mettre un terme au cercle de ma vie biologique, ne pouvant plus supporter l’atroce souffrance des conditions sociales actuelles. Portez-vous bien...

Il s’est alors jeté de la forteresse de Méthymne (Molyvos), ancienne cité de Lesbos fondée par les Éoliens en bien d’autres temps. D’après le reportage, Manolis, originaire de l’île de Samos, s’est installé à Lesbos avec sa compagne il y plusieurs années. Aux dires des habitants, “il a toujours été anticonformiste et il n’a pas supporté la toute récente aliénation de notre société, et alors imposée par le système comptable... il fut un poète, un esprit libre et même un philosophe”. “Il n'a pas supporté la barbarie” a précisé sa sœur devant les journalistes, (“Quotidien des Rédacteurs” du 23 septembre).

Molyvos et sa forteresse, en haut à gauche, 2011

Molyvos en 2011

Le suicide de Manolis Marolias a eu l’effet d’un choc à Lesbos. À Chios, la nouvelle sembla déjà un peu lointaine. Partout ailleurs, ce qu’il y a de plus hideux et de si flagrant, autrement-dit la “gouvernance” des Mémoranda ainsi que l’Aube dorée, ont dans les faits... depuis, suffisamment occupé les rédactions des quotidiens pour ne pas accorder - et à certaines rares exceptions près - la moindre publicité à... la fin de l’histoire (et) de Manolis.

Skala Sykamias en 2011

Mes amis de Chios n’avaient pas pour autant envie de laisser filer le moindre instant. Kardamyla, bourgade aux marins et surtout “partie d'armateurs” comme on dit sur place sans se soucier de l’oxymore, était alors vide après une saison estivale plus que satisfaisante. D’ailleurs, ce ne sont pas les touristes qui, ont tant contribué à l’embellie de l’été, mais les armateurs eux-mêmes ou alors leurs (très nombreux) proches. Déjà fin septembre et depuis une table d’un café, on entendait cette voix d’un armateur, parmi les petits d’après mes amis, donner des ordres: “Non, vous ne remplirez pas toutes les cuves... quelle est votre position déjà par rapport au terminal ?

Chios ne connaîtrait pas la crise, pas exactement celle d’Athènes en tout cas. Question de taille, de démographie et d’économie d’abord à l’échelle locale. N’empêche pourtant, Andrikos, frère d’un des amis de Chios, après avoir perdu son emploi de spécialiste au sein d’une entreprise d’élevage de poisson, il a dû accepter un poste similaire sur l’île de Kos, mais à la clef avec une perte de salaire d’environ 50%, comme c’est la règle désormais en Grèce pour ceux qui... heureux, arrivent encore à retrouver un travail et un poste similaires. C’est en plein repas que le coup de fil d’Andrikos était venu nous interrompre et pour cause: “Voilà trois mois que je ne touche plus du tout mon salaire. Bientôt, je n'aurai même pas de quoi payer mon billet de bateau pour revenir sur Chios”.

Chios, la capitale de l'île, septembre 2013

Tout le monde conseilla et à l’unisson à Andrikos de renter. “Il y a certaines limites à ne pas dépasser, à présent il faut que tu retrouves ta famille au plus vite, nous nous débrouillerons ici tous ensemble”. Kostas, le neveu d’Andrikos quant à lui, vient de monter son propre affaire. Il travaille par informatique interposée depuis sa maison avec vue sur le port, il en est plus que satisfait. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. De nombreux jeunes et moins jeunes de l’île se tournent une fois de plus vers la mer. Sauf que la marine marchande des armateurs de Chios ne les absorbera pas tous.

Voilà toutefois et autant, un signe des temps. Les nombreux touristes venus de la Turquie proche cette année, ont déjà comblé en partie le manque à gagner lié à la baisse d’un certain tourisme grec, quoi que, l’île n’a jamais trop misé sur le tourisme. Car sur l’île, on croise alors avec respect ces “polytechniciens” (ici, et littéralement ceux qui pratiquent plusieurs métiers), et ces marins. Où les deux à la fois, chez Dimitri par exemple, retraité très actif d’un village de la partie ouest de l’île. “J'ai débuté comme matelot et j'ai terminé ma carrière en Capitaine de troisième classe. Lorsque je revenais au village, souvent pour y rester quelques mois, je redevenais aussitôt maçon, agriculteur, éleveur et pêcheur. J'ai bâti trois maisons de mes propres mains. En ces années là, on savait bâtir, en ce moment on ne fait que détruire... Mais moi, je n’ai pas peur de la crise...”

Dimitri de Chios. Septembre 2013

À l’intérieur de l’île, les maisons reflètent inlassablement cette bonne part de l’immuable... en plus de la télévision. Mes amis sont d’ailleurs si fiers de leurs villages, autrement-dit de leurs souvenirs. Il y a de quoi. “Tiens voilà, toute notre enfance c'est cette petite baie”. D’autres, se plaignent de l’étroitesse des liens sociaux mais ils ne quitteront plus Chios pour autant. Leurs salaires réduits à moitié ou même au chômage, ils sortiront toujours pêcher en compagnie de Nikos, car en Grèce, tout le monde le connait pour sa dextérité. Ils emmènent parfois tellement de poisson qu’ils en vendent, évidemment hors tout circuit officiel. La Troïka heureusement, ne s’immiscera pas dans ces affaires relevant d’abord de la sociabilité la plus stricte entre hommes. Quant au reste... c’est moins évident.

Intérieur d'une maison de village. Chios, septembre 2013

Néanmoins, dans tel autre village et à part les potagers, certains... cultivent en même temps l’Aube dorée. “Nous ne voulons plus fréquenter ce café, c'est à cause de son Aubedorien de propriétaire, et toujours en bons termes avec les notables de l’intouchable népotisme local”, estiment ainsi certains. On sait que l’influence de “l'Aube dorée dynamique” ne s’épuisera pas si facilement, et en dépit du démantèlement (?) de l’Aube dorée politique.

Le vent du nord déjà frais n’a guère entravé pas une certaine ambiance de... neutralité joyeuse chez les jeunes de l’île. Parfois, nous avions eu le sentiment que l’insularité des Athéniens devient ainsi plus dramatique que celle des populations des îles de l’Égée. À Chios certes, on regrettera toujours la vielle école transformée en café au village, et qui depuis a fait faillite, mais on ira boire l’ouzo de l’autre côté de la baie pour commenter les dernières nouvelles des marins. D’ailleurs, un cargo venait tout juste de mouiller en face en attendant son prochain affrètement, l’armateur et surtout son capitaine “sont d'ici” assurent ainsi mes amis.

La veille école transformée en café. Chios, septembre 2013

Le ferry du retour était bien bondé. Cela s’explique. Il y a deux fois moins de traversées et par cette liaison, c'est-à-dire entre Lesbos, Chios et le Pirée tout y passe. Ces passagers, contrairement à ceux de l’année dernière et de la même période, rencontrés de retour de l’île d’Astypalaia, ne commentaient plus les faits politiques. Je me souviens il y a un an, de cette terrible logorrhée d’un policier en civil se réclamant de l’Aube dorée. Depuis Naxos et jusqu’aux portes du Pirée et de l’insoutenable. On comprendra quelque part Manolis Marolias, il n’aura pas tenu la grande traversée jusqu’au bout.

Au Pirée justement, ces passagers épuisés, ont somme toute retrouvé le rythme de la ville, les titres des journaux sur Angela Merkel et sur l’Aube dorée, ainsi que la première rosée matinale de l’automne.

De retour au Pirée. Septembre 2013

Les titres des journaux, Angela Merkel et l'Aube dorée. Septembre 2013

Derrière le port et décidément loin de tout sens orchestré par les ténèbres, un animal adespote se désaltérait dans une fontaine dans l’indifférence générale. Loin de Chios, et encore plus loin des montagnes de Lesbos.

Au Pirée, septembre 2013




* Photo de couverture: Manolis Marolias et sa dernière lettre. “Quotidien des Rédacteurs” du 23 septembre