Aux informations ultimes du jour final d’octobre, on annonce la prochaine baisse des salaires pour un demi-million d’employés-rescapés dans le commerce. La convention collective de la branche pénètre alors la constellation des dispositions mémorandaires, ces salariés perdront ainsi entre 13% et 55% de leurs rémunérations. Et quant au petit garçon de Serres, ville du nord de la Grèce, mort dans l’ambulance qui le conduisait à Athènes la semaine dernière, pour lui déjà, la Troïka c’est... du passé impénétrable. À l’âge de deux ans et demi et souffrant du cœur, son opération a été repoussée depuis plusieurs mois. Les “restrictions” imposées au seul hôpital pour enfants pratiquant ce type d’opérations... n’autorisent que la pratique d’une seule journée de chirurgie par semaine. Ce n’est pas un accident mais alors la règle. Le ministre de la Santé et de la Mort, Adonis Georgiadis a même déclaré récemment: “Le système de santé ne peut plus accepter l'ensemble des citoyens”.
Colloque à Pescara, 26-27 octobre |
Ces longues listes d’attente pour une opération lourde et urgente, ou pour une prise en charge d’un cas de cancer dans les hôpitaux grecs sont déjà surnommées “listes de la mort”. Et en ce début de mois de novembre le personnel des hôpitaux psychiatriques est en grève pour dénoncer une fois de plus, leur mise à mort. Fermetures de nombreux services, réduction drastique des lits, et voilà que le ministère de la santé impose dorénavant une durée maximum d’hospitalisation qui ne doit pas dépasser les trois mois. Ensuite, le malade, alors guéri ou pas, devra retourner chez lui... son psychisme sous le bras.
Fort heureusement, il (nous) est encore possible que de voyager dans le temps, et ceci, rien qu’en traversant l’Adriatique pour ainsi distinguer les différentes phases dans processus de la “crise” sciemment pratiquée comme une forme de guerre ou de génocide économique visant les peuples de l’Europe du Sud et plus généralement tous ceux de la zone euro. Invité par l’Université de Pescara lors d’un colloque organisé par une section du département d’Économie sous la responsabilité d’Alberto Bagnai et dont le thème était: “Euro-démocratie financiarisée - Comment sortir de l'Euro”, j’ai apporté mon analyse ainsi que mon témoignage de la crise grecque, celui que les lecteurs de ce blog connaissent suffisamment depuis deux ans.
Locaux et appartements à vendre. Italie, Avezzano, octobre 2013 |
En Italie de 2013 tout n’est pas encore à vendre et les usines fonctionnent encore. Les effets de la crise sont certes visibles mais pas autant et à l’œil nu partout, comme en Grèce. Ce grand pays cosignataire du Traité de Rome, se trouverait me semble-t-il et toute proportion gardée, dans la situation grecque de 2010. Signe des temps et des légers décalages, les économistes arrivés depuis l’Italie ou l’Espagne ont aussitôt estimé que l’organisation chez eux de tels colloques devient dorénavant (pratiquement) impossible.
Et quasiment tout le monde se mit d’accord pour dénoncer la mise en place de l’euro comme étant une arme totale dans l’instauration des inégalités à l’intérieur des sociétés, ainsi qu’entre les pays de la dite Union Européenne. Aux yeux des participants au colloque de Pescara, “l'euro est synonyme de notre mort”, en plus de celle des régimes démocratiques en Europe occidentale. Car les règles ainsi imposées par décrets par ces instances nationales et... globales sapent, lorsqu’elles n’annulent pas tout simplement les textes constitutionnels des pays en question. Nous en sommes bien conscients au Sud et toute la question serait de coordonner nos actions pour ainsi faire face à ce nouveau mur de Berlin et des... medias qui alors œuvrent dans le sens de l’émiettement et de l’isolement des opinions et des expériences (si) distinctement vécues. Pauvre Europe !
Au colloque de Pescara, octobre 2013 |
Les économistes présents ont d’emblée souligné cette hérésie structurelle et “misa-démocratique” pour ne pas dire misanthrope) alors caractéristique de la zone euro, à savoir, l’effondrement progressif ou soudain de la demande intérieure, autrement-dit instituant la loi de l’économisme le plus implacable de la terre et des droits sociaux... durablement brûlés. C’est ainsi que les élites de l’Allemagne et plus amplement celles du monétarisme extrême réunis de tous nos pays, ont imposé à toute la zone euro, cette orientation et ce... modélisme alors calqués sur l’exemple (alors vendu comme relevant de “l'exemplarité”) de l’Allemagne, pays dont l’économie est essentiellement tournée vers l’exportation.
L’idée donc rencontrée dans les couloirs du colloque fut entre-autres la suivante: “Il va falloir observer de près la probable propagation de la crise en France. Ce grand pays dont l'économie n'est tout de même pas un miroir des spécificités allemandes, risque ainsi de souffrir et peut-être même qu’il réagira à terme”. Et même si la Grèce et plus amplement le sud de la zone euro sont en phase de devenir des protectorats allemands (et bancocrates) de type nouveau, l’Allemagne n’est évidemment pas “un grand méchant loup” comme le voudraient certains stéréotypes qui ressuscitent en ce moment partout entre Lisbonne et Nicosie, mais plutôt un pays dont les élites pratiquent avec succès une politique bien en phase (pour l’instant), avec la géopolitique de l’Europe et du monde méta-communiste. Pourtant, peu de gens distinguent combien cette Europe méta-communiste signifierait autant (et terme) la fin de l’Union Européenne ainsi que des démocraties en Europe occidentale. La dite construction européenne ne garde que le nom de ce qu’elle a (peut-être) été entre 1957 et 1992, sauf que personne ne veut l’admettre publiquement dans la sphère des medias ou du dialecte politique... étrange manque de dialectique alors !
Lors du colloque à Pescara. Octobre 2013 |
Un citoyen allemand présent au colloque m’expliquait donc combien la notion de la dette en Allemagne est associée au péché et à la transgression, ainsi... condamnables et punissables. Fier de son pays et des ses réussites dans l’industrie, pourtant il n’admet pas du tout que la... vertu allemande soit ainsi exportée de force vers les autres: “Je suis scandalisé de la politique d'Angela Merkel, je suis accablé de ce qui arrive aux Grecs, aux Espagnols, aux Portugais ou aux Italiens. Angela Merkel est en train d'assassiner l'Europe”.
Car dans un sens (et aussi) dans ce colloque il était question de sauver l’Europe, c'est-à-dire ses démocraties plurielles, ainsi que si possible une certaine forme d’Union, sans pour autant détruire les souverainetés. Après-tout, aucune instance supranationale n’a pu garantir et jusque là, le moindre espace dans le processus décisionnel démocratique (et non pas celui de la “gouvernance”), et les institutions de l’UE n’échappent pas à cette règle si sombre, n’en déplaise, à une certaine presse mainstream. “Nous sommes ici ces véritables Européens qui veulent sauver l'Europe” avait dit même un participant.
J’ai remarqué que cette idée de l’Europe préoccupait tout le monde, “la dissolution concertée de la zone euro est un minimum indispensable si nous voulons préserver l'UE, et nous, nous voulons la sauver”, a insisté l’intervenant Polonais. Je me demande pourtant dans quelle mesure un tel sauvetage est encore possible, voire même souhaitable. Car, regardant plus loin que les yeux myopes des médias... acritiques, et comme j’ai pu ainsi le constater durant mes rencontres en Italie, il existe aussi cette idée complètement occultée qui ferait mieux son chemin si elle était mieux diffusée et de ce fait, soumise à la volonté des peuples, par referendum par exemple: retourner à l’UE du processus décisionnel et institutionnel qui prévalait avant les Traités de Lisbonne et de Maastricht.
En Italie, octobre 2013 |
Sauf qu’en Espagne par exemple, on interdit désormais me semble-t-il la pratique du referendum et qu’au Portugal comme en Grèce, le public n’est admis aux manifestations des fêtes nationales que lorsqu’il est muni d’un carton d’invitation, ce dernier étant exclusivement délivré après... triage opéré par les autorités. Au Portugal, Mário Soares alors outré de cette mascarade de la pseudo-démocratie s’est décidé de ne plus assister désormais aux commémorations dans son pays.
Et alors qu’à Rome les manifestations contre les expulsions (à l’image de ce sui s’est passé en Grèce et en Espagne) ont été violement réprimées jeudi 31 octobre, les alternances politiques semblent être toujours verrouillées un peu partout et pas qu’au sud. Ainsi, le nouveau roi des Pays-Bas, Willem-Alexander, s’exprimant devant les deux chambres du Parlement lors de la présentation du budget 2014, a fait référence aux nécessaires coupes budgétaires, estimant même que “l'État providence du 20ème siècle n'est plus viable dans sa forme actuelle”. On comprendra que le régime méta-démocratique et antisocial sans frontières, avance aussi dans les pays du nord de la zone euro.
Le manque de confiance des Italiens envers l'euro. Colloque de Pescara, octobre 2013 |
On sait aussi que certains sondages pas forcement médiatisés, démontreraient que le manque de confiance des Italiens envers l’euro prend de l’ampleur. Un jeune italien employé à l’hôtel où se tenait le colloque, a précisément exprimé ce désarroi: “Nous craignons le chômage. Énormément. Déjà, et ceci bien officiellement, le chômage des jeunes en Italie monte à 45%. Nous avions cru en l'euro mais à présent nous devenons plus dubitatifs. Dès lors, nous sommes bien nombreux à rechercher du travail ailleurs... à émigrer, mais malgré nous. Finalement, nous sommes une génération triste”.
Effectivement... et à l’image des générations tristes de la planète, la finance aurait toujours existé, depuis même le temps de Hammourabi !
La finance et le code Hammourabi. Colloque de Pescara, octobre 2013 |
* Photo de couverture: En Italie, octobre 2013