Au Pirée comme à Athènes c’est bientôt Noël semble-t-il. Les municipalités installent les décorations comme si de rien n’était tandis que les premières sucreries de saison ont déjà fait leurs premières apparitions derrière les vitrines. “Je n'aurais jamais imaginé qu'on en arriverait là pour certains d’entre-nous... contempler et seulement contempler ces gâteux alors bredouilles et impuissant car pauvres sur ces trottoirs sans pouvoir s’en offrir un seul, exactement comme durant les années de notre enfance de l’après-guerre”. Dialogue récent entre deux femmes âgées devant une telle vitrine au Pirée.
Sucreries du temps festif. Le Pirée, novembre 2013 |
Et c’est justement cette disparition de l’ancien temps dans les turpitudes de la nouvelle ère qui finit par ne plus surprendre grand-mode, tant les passants que nous sommes baissent souvent leurs yeux devant ce nouveau spectacle du monde. Au Pirée, autour du grand port et autant à Athènes dans certains quartiers centraux, nos sans-abris sont plus nombreux que jamais, ainsi, les très nombreux mendiants dans les transports provoquent ce sentiment grandissant de rejet et d’usure, de la part de ceux qui existent encore (un peu). Enfin, nos maires n’ont pas encore découvert la... reforme structurelle de l’interdiction de la mendicité comme ailleurs mais c’est en cours de route.
Dans le métro, les visages sont plutôt tristes, les passagers s’évitent et ne s’adressent plus la parole, sauf lors de ces nombreuses altercations pour un rien en plein néant du lien social. Ou sinon, les rares échanges entre... transportés, se réfèrent de près ou de loin à la situation actuelle, puis, une phrase revient sans cesse dans pareilles circonstances mais alors à voix intentionnellement basse: “Nous ne sommes plus dupes”. Et quoi qu’on en dise, nos visages demeurent sombres le plus souvent.
Sucreries et café. Le Pirée, novembre 2013 |
On installe les décorations de Noël. Le Pirée, novembre 2013 |
À Athènes ou au Pirée, certains hôtels ne rouvriront plus et les panneaux publicitaires resteront vides bien au-delà des fêtes. L’air du soir sent déjà trop le bois brûlé, au point de devenir irrespirable comme l’essence de toute une époque qui ne fait que de commencer en Europe dite de l’Union et de la force... “financiarisatrice” des liens et des êtres. Le pope du coin comme de tous les coins, salue ses paroissiens pauvres qui sur le parvis de l’église s’apprêtent à franchir la porte de l’annexe, afin de recevoir de l’aide alimentaire. Le clergé du pays à la trinité troïkanne ne se porterait pas si mal finalement, telles sont les apparences en tout cas.
C’est vrai aussi que par un récent décret en débat au “Parlement”, le “gouvernement” souhaite protéger le clergé de tout mouvement du type “mise sous le régime de la disponibilité” (euphémisme du vocabulaire imposé par les tenants du régime méta-démocratique actuel, désignant les licenciements dans le secteur public ou assimilé). Ce même décret, rendrait impossible tout contrôle que le fisc aurait souhaité entreprendre à l’encontre de l’Église (ou des monastères), sans au préalable, requérir la signature de deux ministres. Cet article du décret a été finalement retiré de la loi au soir du 28 novembre suite à la protestation des députés SYRIZA et PASOK. Ce qui ne veut pas dire que du côté de l’Église, on reste pour autant insensible au contexte actuel.
La pêche au Pirée. Novembre 2013 |
Panneau publicitaire abandonné. Le Pirée, novembre 2013 |
“Nous distribuons de milliers de repas chaque jour, l'Église se trouve fatalement sur la première ligne du désastre social. Les gens frappent à notre porte par centaines de milliers. Et il faut dire que parmi les personnes et familles richissimes du pays, car nous connaissons aussi de tels gens, seule une grande maison a bien voulu aider l’Église et le pays des pauvres en mettant réellement la main dans sa poche”, entretien accordé à Yorgos Trangas par un haut dignitaire de l’Église, Real-FM le 28 novembre.
Ex-Hôtel. Le Pirée, novembre 201 |
Sauf que la philanthropie n’est pas l’isonomie et que de toute évidence, cette même philanthropie est autant un signe de la plus grande injustice économique et sociale sévissant au sein d’une société. Sauf encore et pourtant, que cette solidarité de l’Église devient alors primordiale pour de nombreux habitants de ce pays lequel connait déjà une sérieuse crise humanitaire à l’échelle certes de l’Europe de l’Ouest, et depuis les années 1940.
Sur le port, les bateaux à destination d’Égine ont déjà appareillé, et à leur place, nombreux sont ceux qui passent leur temps depuis, pratiquant la pêche à la ligne et aux eaux bien sombres. Toute une partie de cette Grèce des ombres passe alors son temps au ralenti dans une historicité qui pourtant s’accélère comme jamais depuis bien longtemps. Signe des temps encore, le passéisme devient une valeur plus que certaine, les publicitaires le savent bien. Comme devant la boutique historique du café et des sucreries où sa réclame d’antan revient certainement de gré et de force. Je précise que la branche industrielle de cette maison du café appartient depuis 1987 à Nestlé, et que cette famille historique d’entrepreneurs du secteur en Grèce se concentre depuis sur son réseau des points de vente.
Le café et le passé. Le Pirée, novembre 2013 |
Heureusement dans un sens que l’hétéroclite règne autant que le reste. Devant l’église du pope et des pauvres, des affiches du KKE (le PC grec) invitent à se souvenir de la mémoire du grand jouer de foot à l’équipe de l’Olympiakos du Pirée, Nikos Godas. Résistant, patriote et communiste il a été exécuté un 19 novembre à Corfou où il était détenu politique du “régime d'exception” d’alors. Il avait demandé qu’on le laisse enfiler les couleurs de son équipe devant le peloton d’exécution. Telle fut sa dernière volonté, c’était en 1948 durant la guerre civile.
La mémoire de Nikos Godas. Affiche KKE, le Pirée, novembre 2013 |
Notre régime d’exception actuel fait sans doute oublier Nikos et son dernier match. Les passants indifférents ne remarquent plus l’affiche ; sur le trottoir d’en face devant le grillage du port principal qui est en réalité une allée “confortable”, c’est plutôt le... banc de touche des sans-abris des lieux, des hors-jeu en d’autres termes. Autant dire que c’est plutôt le terrain qui serait enlever au plus grand-nombre des acteurs sociaux, pour le moment en tout cas.
Ce n’est pas sans raison que nos dessinateurs de presse imaginent notre pays comme un désert du développement capitaliste, ainsi que le ministre des Finances (et célèbre hyper-employé des banques) Yannis Stournaras, comme un extraterrestre dont la soucoupe volante s’est posée sur le tarmac de l’aéroport d’Athènes.
Samaras et Venizélos au désert du mémorandum et du capitalisme grec. “To Pontiki” du 28 novembre |
Stournaras... l'extraterrestre. “Elefterotypia” du 27 novembre |
La Grèce du mémorandum commence tout juste à saisir enfin certaines nuances de cette “extraterrestrialité” des élites locales, offshore et troïkannes. Les partis politiques, les syndicats, l’Église même, ne seraient pas exemptes de critiques pour ce qui tient de cette altérité radicale ou relative, c’est selon, vis-à-vis d’une bonne partie du corps social. Sur un building dégradé et abandonné on peut alors lire cet euphémisme datant du temps de l’escroquerie et de la démesure, si bien organisées lors des JO de 2004: “Think Greece”.
C’était encore du temps où le peuple n’y pensait plus et ne pensait pas. Et à présent... c’est bientôt Noël. Pensons-y !
“Think Greece”.Le Pirée, novembre 2013 |
* Photo de couverture: Le Pirée, novembre 2013