Par ce temps de grande transformation, nos univers se croisent sans pour autant se rencontrer réellement. La fragmentation sociale règne en maîtresse des lieux et des habitudes, certaines stratégies de l’évitement se généraliseraient, ou sinon, elles deviennent alors... fatales par la faiblesse des faits et surtout des destinées ainsi croisées. Christos, le voisin sort de moins en moins. Rencontré rarement devant l’entée de l’immeuble, il s’empresse d’en finir avec le bonjour jadis si prolongé, “à la grecque”.
Le Parthénon, mars 2014 |
Malgré nos illuminations de nuit comme de jour, ainsi que leurs allures, notre Parthénon s’est assombri au point de devenir imperceptible pour le plus grand nombre, à l’instar de la plupart des symboles et des emblèmes. Christos l’exprime alors à sa manière: “Durant vingt jours... c'est à pleurer, puis, trois jours de suite on peut enfin rigoler un peu... amertume, alors amertume. Cette année, et pour le 25 mars nous ne suspendrons pas notre drapeau au balcon. Il n'y plus rien à fêter”.
Autrement-dit, durant ce mois de mars Christos a travaillé seulement trois jours et sa famille ne survit que grâce à la retraite de sa belle-mère, Aristomène (qui n’est pas le prince des Messéniens) compris. Christos promène alors Aristomène tenu en laisse matin comme soir, “mon Aristomène se porte bien, sa vie n'a guère changé, une vie de chien, magnifique... en plus c’est un petit chien et il mange si peu, alors tout va bien... mais quant à nous tous...”.
Le drapeau au balcon, fête nationale, Athènes, le 25 mars 2014 |
Christos émet même l’hypothèse selon laquelle, “tous ces autres habitants du quartier qui arborent encore nos couleurs pour la fête nationale du 25 mars en l'honneur de la Révolution de 1821 contre l’Empire ottoman, doivent travailler au minimum déjà 21 jours par mois. Cela ne s'expliquerait pas autrement...”.
Lundi 24 mars lors du défilé des écoliers devant le “Parlement”, le centre-ville était bouclé, de même que pour le traditionnel défilé militaire du 25 mars, toujours à Athènes. Et comme désormais c’est aussi de nouvelle coutume au Portugal, les festivités liées aux fêtes nationales ne sont plus... de libre accès, le peuple... qui est décidément de sa fête est tenu bien à l’écart, quelques centaines de mètres des officiels, et les cars des MAT (CRS) bouclent la place de la Constitution et seules les personnes munies d’un laissez-passer délivré par le ministère peuvent y assister.
Immanquablement, l'hybris (démesure et outrance) des régimes de type nouveau, hybris faite à la démocratie (même de façade) à une certaine culture européenne de l’après 1945, surpasse le cadre de la Grèce. Il est donc à craindre que ces nouveaux régimes aient tendance à se généraliser en Europe après les expériences: grecque, italienne, espagnole, et... ainsi de suite. En somme ; nous sommes témoins d’une lancée alors néfaste, si dangereuse pour l'ensemble des peuples de l'Europe qui est en cours.
Colère lors du défilé... encadré du 25 mars 2012 |
Défilé... encadré du 25 mars 2012 |
Colère lors du défilé... encadré du 25 mars 2012 |
Car durant les premières années sous “notre” régime du Troïkanisme intégral ce fut toujours à l’occasion des commémorations liées aux fêtes nationales que les estrades des officiels se firent investir par les citoyens en colère.
Et c’est en 2012 que le dispositif des fêtes nationales... exclusives fut inauguré, non sans provoquer la colère des... indigènes pour ainsi arriver en 2014, où plus grand monde ne se déplace. La fête c’est alors fini. Les participants à la version 2012 et 2013, se souviendront de la colère criée par certains et surtout de l’indignation silencieuse du vieux mendiant handicapé, simplement exprimée par le slogan du jour et de l’année (2012) tenu entre ses deux mains: “Qu'on nous rende notre patrie”.
Lors de la version 2014 de la parodie, il y a eu pourtant de la colère mais disons plus ciblée, celle par exemple des femmes de ménage au ministère des Finances, toutes licenciées depuis plusieurs mois, et celle des anciens de l’ERT, manifestant le 25 mars sur la place d’Agia Paraskevi, près du siège de la radiotélévision investi par la police en novembre 2013, et depuis, par la nouvelle structure DT-NERIT, mise en place par le “gouvernement”. Et pour ce qui est du “grand public”, c’est l’indifférence qui règne.
Fête nationale surveillée. Quotidien “Avgi” du 24 mars |
Cars de la police... et blocus de la place de la Constitution. Athènes, le 24 mars (cliché presse grecque) |
L’ancien temps se détrempe alors dans le nouveau, autant lorsque les rues d’Athènes se vident au moment d’un match de football ainsi considéré comme “primordial”. Univers primaires... fragmentés. Dans une déjà presqu’ancienne galerie marchande aux boutiques en faillite et à proximité des librairies alors rescapées, une machine “polycopieuse” d’un tout autre siècle et de fabrication soviétique est ainsi exposée sans trop que l’on sache pourquoi... désormais.
Le quotidien athénien est déjà étonnant et impensable, rien qu’a travers ses petits contrastes qui trahissent bien les failles et les faillites. Deux étudiantes étaient de la sorte restées la bouche bée devant un nouveau graffiti... amélioré sur le mur d’un parking désaffecté. “C'est trop ! C'est super fort ! On le prend en photo ?”. Sauf que sur ce même parking et sous son autre mur, un sans-abri avait façonné sa... dernière demeure en carton épais.
Rues vides soirée de match. Athènes, le 19 mars |
Galerie marchande des faillites. Athènes, le 19 mars |
La machine fabriquée en Union Soviétique. Athènes, le 25 mars |
Les deux jeunes femmes ne perçurent alors rien de tel, ni personne. Il y a que le fisc “grec” qui... alors voit bien si loin dans l’histoire, rendant (dès 2014) la déclaration des revenus obligatoire - revenus même inexistants - pour les SDF, au risque d’en arriver bientôt a instaurer les sanctions... déjà pressenties car à moitié annoncées, celles... du purgatoire: refuser l’accès aux soupes populaires et autres distributions de vivres pour les récalcitrants qui n’auraient pas voulu se faire dénombrer ainsi par les tenants du camp grec à ciel ouvert.
Les deux étudiantes. Athènes, le 19 mars |
La demeure du SDF... invisible des lieux. Athènes, le 19 mars |
D’autres sans domicile, et qui intéressent autant les services fiscaux de notre nouvelle méta-Europe dorment un peu partout dans les recoins de notre ville, de notre pays et de notre vie. Invisibles et effectivement insensibles au ballon rond le soir d’u match et de tout match.
SDF. Athènes, le 19 mars |
Heureusement que nos éditeurs proposent parfois de l’exotisme, telle une biographie de Peggy Guggenheim, histoire aussi de penser à autre chose et peut-être à réfléchir... par les temps qui courent.
Peggy Guggenheim en librairie. Athènes, mars 2014 |
Enfin, ce slogan, paraît-il indépassable peint sur une façade athénienne: “L'union fait la force”. Fragments de notre pays... unissez-vous.
Athènes, mars 2014 |
* Photo de couverture: Athènes, le 25 mars 2012 “Rendez nous notre patrie”