Gouverner, et être gouverner hors toute certitude quant aux prétendus liens avec la cité et à sa citoyenneté, rajoute au mieux, l’insanité à la parodie. Dimanche 18 mai la Grèce décomposée a voté (scrutin municipal et régional), et d’abord, une première tendance se dessine. Athènes et sa région d’Attique (35% de la population du pays) ont sanctionné en quelque sorte les candidats issus de la Nouvelle démocratie et du PASOK, contrairement ou presque... au grand petit reste de l’Hellade.
Gavriil Sakellaridis, candidat SYRIZA aux municipales à Athènes. Mai 2014 |
Peu de gens (encore) sensés peuvent se dire satisfaits des résultats du vote du dimanche 18 mai en Grèce. Les élections régionales et municipales ont déjà confirmé un certain degré d’implosion et de chaos alors “gérables”. Ils ont autant rappelé et à quel point, les encrages locaux des réseaux et des clientélismes, qui plus est dans une période où la survie économique pour tout un chacun... et la mort de tous les autres, devient la première préoccupation. Et chez SYRIZA notamment, il n’y a pas lieu de pavoiser au vu des résultats de ce premier tour.
Certes, Gavriil Sakellaridis, le jeune candidat du parti de la Gauche supposée radicale aux municipales d’Athènes vient de franchir le seuil du deuxième tour, bénéficiant également il faut le dire, de la présence au premier tour du candidat dissident ex-Nouvelle démocratie et ancien maire, Nikitas Kaklamanis. C’est ainsi que Sakellaridis affrontera au second tour dimanche 25 mai, le maire sortant Kaminis, désormais soutenu par la Nouvelle démocratie en plus du PASOK.
Et tout le monde aura remarqué un taux d’abstention proche de 40% (autant qu’aux élections municipales et régionales de 2010) et surtout, surtout ce score de l’Aube dorée, lequel a doublé à Athènes (candidature d’Ilias Kassidiaris), passant de 8% à 16%, (11% pour le candidat de l’Aube dorée Panagiotaros aux régionales d’Attique et 8% en moyenne au niveau national).
Athènes, mai 2014 |
Le mythe quant à cette partie du corps social prétendument “égaré soutenant donc les néonazis par réaction, sans tenir compte de leurs idées, s’effondre. Tout cela montre au contraire et suite aux résultats du dimanche dernier, que l'idéologie de l’Aube dorée faisant de la violence l’ingrédient, voire l’élément absolument central de sa pratique, s'est imposé comme une puissance ‘anti-systémique’ et cela, aux yeux d’une partie non négligeable du corps social, lequel désire ardemment la validation d’un tel rôle... assumé par l’Aube dorée”, note Stathis Kouvélakis, chercheur, professeur en philosophie politique et proche de SYRIZA (iskra.gr au 19 mai).
C’est un argument que je partage, d’ailleurs les fidèles lecteurs du blog se souviendront de mon analyse datant de 2011-2012, lorsque j’avertissais sur cette brutalité désormais largement subie en Grèce depuis sa “gouvernance” par la Troïka, ce qui fatalement légitime aux yeux d’un assez grand nombre, l’usage de la violence (allant jusqu’à la mise à mort physique) dans les rapports politiques, et je dirais même... dans les rapports tout court (suicides compris).
Sur une façade: “Je veux mourir” complété par “Tu peux attendre”. Athènes, le 19 mai |
Et autant comme par... hasard ou par accident... permanant, les sondeurs se sont trompés au sujet de l’Aube dorée, ainsi que sur toute leur ligne. Le préfabriqué des sondages ne tient plus, le mercantilisme des faiseurs de l’opinion devient trop visible. Suite déjà aux simulacres d’une démocratie (?) destituée, le moment arrive où les simulacres... du simulacre, s’enlisent alors dans le sable mouvant du ridicule.
En Grèce en ce moment on respire difficilement, et d’ailleurs, l’oxygène de la crise se partage assez mal, comme dans les parois d’un naufrage qui tarde à sombrer. À l’image de ce qui s’est produit au Pirée, où d’après certains reportages (tvxs.gr au 19 mai), Marinakis, l’homme fort dont le nom figure sur l’une des listes qui franchissent le car du deuxième tour, un riche homme d’affaires et “gérant” de l’équipe d’Olympiakos, aurait utilisé ses “gorilles” dans une tentative d’intimidation des électeurs et autant, certains billets d’euros pour mieux “convaincre autrement”... du bien fondé de ses arguments, ou sinon de sa fortune.
Ces mêmes Marinakis - Moralis auraient distribué des sacs contenant de la nourriture à l’église de Saint Eleftherios du Pirée, tout en... administrant leurs bulletins de vote en même temps. Ces faits ont été (aussi) rapportés non sans amertume par le candidat perdant de SYRIZA (à la mairie) et député, élu de la première circonscription du Pirée, Theodoros Dritsas (tovima.gr au 20 mai).
L’autre adversaire des Moralis - Marinakis (aussi pour le deuxième tour) Mihaliolakos maire sortant, cousin de son homonyme, chef emprisonné de l’Aube dorée, aurait été molesté par les gros bras de l’homme d’affaires d’après le reportage de tvxs.gr. Des témoins oculaires des faits, estiment qu’un tel spectacle marquerait un certain retour aux pratiques... ancestrales des années 1920-1930, sauf qu’en 2014, toute référence au passé (heureuse ou funeste), serait toutefois à considérer avec prudence.
Représentation italienne des Grecs en 2014 |
Visiblement... les Grecs ne sont pas les héros de l’Europe, en ce mois de mai 2014 du moins. Dans pratiquement toutes les régions du pays (hors Athènes), les listes soutenues ou “culturellement” issues de la Nouvelle démocratie et du large Pasokisme arrivent en tête. Ce que je rapportais à travers ce blog, par exemple via le témoignage d’un candidat SYRIZA en Thessalie (Grèce centrale) se confirme.
Les clientélismes décidément résiduels... du pays réel, un moment... tétanisés entre 2011 et 2012, ils ont repris de la force, voire de la... perspective. Sur le terrain, on peut alors quémander l’espoir d’un travail hypothétique payé 300 euros par mois et financé par les fonds de l’UE... pour l’automne prochain et sans même aucune suite, ou sinon, croire à l’assurance... quant à la prise en considération forcément conditionnelle, d’une requête d’aide d’urgence pour ce qui est des plus démunis.
D’autres, attendent que leurs petites et moyennes entreprises, par exemple de BTP, retrouvent... par réverbération de l’époque de l’avant-crise, une petite part du “gâteau” municipal ou régional après “redémarrage”. Et enfin, certains... agitateurs du local, mieux placés car déjà... entremetteurs (ou répétiteurs directs ou indirects sur le terrain, d’après hélas mes propres observations) pour les compte de certains entreprises par exemple allemandes ou finlandaises et d’abord pour le compte de certains barons économiques... autochtones, attendent autant leur heure de gloire. En Thessalie donc, le candidat Nouvelle démocratie et actuel président de Région, arrive en tête avec plus de 40% des suffrages exprimés.
Et personne n’aura vu combien et comment le redécoupage administratif de la Grèce, celui de 2010 supprimant les départements et imposant le regroupement de très nombreuses communes, ainsi que toutes les lois-cadres relatives au fonctionnement des dites “administrations autonomes locales” depuis le premier mémorandum (2010) et ensuite, ont fait de cet encrage décisionnel local, un simple engrenage du système central.
Au café des Muses. Athènes, mai 2014 |
Ainsi, la distance qui sépare le café des Muses à Athènes à la mousson des provinces de notre éparchie européenne est remarquable. Nikos, la petite trentaine, lunettes, cheveux longs, épicier et habitant de la commune Kaisariani (près d’Athènes) ne décolère pas: “Il y a un mois, mon père s'est rendu dans le Péloponnèse, au village dont la famille est originaire. Il a fini par se disputer avec tout le monde ; les ‘éparchiotes’ ne comprennent rien... Comme si, la crise ne les touche pas. J’ai voté en faveur du candidat de gauche à la mairie... et pour faire barrage à l’escroc Pasokien je voterais même pour un Aubedorien, pourtant je déteste leurs idées politiques. Sauf que la mise à mort politique des ‘pasoko-néo-démocrates’ est un préalable à tout changement au niveau local comme au niveau national. Ce type du vieux PASOK veut encore reprendre la mairie, il est un promoteur et ainsi propriétaire de plusieurs immeubles. Il a augmenté le loyer de Takis et comme ce dernier n’arrivait pas à s’en sortir, il lui a proposé de lui laisser en échange son café intact, s’acquittant ainsi de sa dette. L’escroc a ainsi repris un café, clef en main... Pourtant... il y a ceux qui votent en sa faveur. Les gens sont idiots” État des mentalités du moment et propos parfois invérifiables.
Ailleurs et plus précisément à Volos, ville portuaire de la Thessalie, le candidat Achilléas Beos arrive largement en tête (avec ses 38%, devançant le candidat soutenu par SYRIZA 24%) franchissant ainsi le cap du second tour. Cependant, Beos serait un escroc avéré. Contrairement donc aux angélismes avancés par certains analystes de gauche ou parfois de droite, la crise et ses amoralismes d’en haut comme d’en bas, finira par désarmer ces derniers et rares défenseurs d’une société disons plus citoyenne.
Il faut dire que pendant la campagne électorale, Beos était obligé à se présenter tous les 1er et 15 du mois au poste de la police local tandis qu’il est interdit de sortie du territoire national, car récemment placé en garde à vue, en attendant son procès dans quelques mois dans une affaire de matches de football truqués et autant, pour son implication présumée dans l’organisation de paris également truqués.
Athènes, mai 2014 |
Sauf que cet homme fort de l’équipe locale d’Olympiakos (de Volos) ne se laisse pas impressionner... par la justice des autres. Ces dernières semaines, il a si souvent réglé la note dans les bistrots et autant offert le café ou les petits gâteaux aux vieux Voliotes, résidants des maisons de retraite (quotidien “Ta Nea” du 19 mai). À Volos donc, Beos célèbre sa première victoire, grâce à ses... Béotiens, en s’autoproclamant même, “grande figure locale anti-systémique et anti-mémorandum”.
Cette figure donc du... pays réel, devient d’après ses propres déclarations, “le premier homme qui est arrivé à la politique depuis la prison, contrairement à bien d'autres qui sont entrés d'abord dans la première politique pour ensuite finir en prison”, (quotidien “Kathimerini” du 20 mai).
Je dirais que nous assisterions à cette jonction, entre les ultimes paraphrases des survivances culturelles de l’insurrection contre tout pouvoir central, l’escroquerie clientéliste alors érigée en “situationnisme” par le Pasokisme historique et enfin, entre cette mafia du ballon et des jeux. Un néo-Berlusconisme à la grecque en somme, avec le retard nécessaire, le tout, sous le regard (bienveillant ?) des vrais maîtres du jeu central à Athènes et à Bruxelles.
Athènes, mai 2014 |
En prolongeant la réflexion de Stathis Kouvélakis, je dirais que la Gauche grecque a raté son moment, entre 2010 et 2012. Stathis exhorte certes publiquement (iskra.gr) les gauches grecques, de SYRIZA et allant jusqu’au KKE, le PC grec, à former un front commun, (en Grèce, le PASOK-PS ne plus considéré comme étant une formation de gauche). Mais au vu des résultats du dimanche 18 mai, ce n'est pas l'avance des candidats SYRIZA à Athènes et en Attique qui changeront... l’altération en alternance, tandis que ce front s’annonce plutôt chimérique.
En analysant ces résultats, Stathis Kouvélakis estime qu’au niveau national, et cependant lors ce scrutin régional et local, l’influence de la Gauche en Grèce serait globalement de 30%, dont 18% pour SYRIZA, 9% pour le KKE et 2,3% pour ANTARSYA. J’y ajouterais qu’à travers la sociométrie du... public grec et surtout chez les économiquement morts, le scrutin du 18 mai relèverait... d’un vote venu d'outre-tombe à Athènes, et des Nuées, comédie grecque classique d'Aristophane... et autant des régions grecques de l’année 2014. Et quant à SYRIZA, on assisterait éventuellement au début de la fin de son influence, faute de vouloir rester un parti radical. Le retour des népotismes locaux (hors Attique), un temps oubliés en 2012 auront accompli le reste.
Le vote du 18 mai. “Quotidien des Rédacteurs” du 19 mai |
Il s’ensuit que SYRIZA, parti urbain et plus exactement athénien, reculerait partout, sa culture “de l’entre-pote” n'a que peu d’influence durable ailleurs, d’autant plus, sans une audacieuse politique déjà “de commandement central radical”. De même, la société, vaincue car idiote (au sens déjà antique du terme ‘Ιδιώτης’, celui qui ne s’occupe que des intérêts privés), a déjà pris le pli de notre si glorieuse époque.
Regards athéniens sous l’Acropole... en attendant le second tour des élections municipales et régionales, ainsi le scrutin pseudo-démocratique des élections dites européennes dimanche 25 mai. “Divinae Institutiones”, antiquité décidément tardive.
Regards athéniens sous l'Acropole. Mai 2014 |
* Photo de couverture: Athènes, mai 2014