Sur Athènes il pleut. Les habitants murmurent, les îles d’Égine et de Póros se trouvent alors submergées, cependant sans les touristes, tandis que dans le métro athénien les mendiants nouveaux, insistent inlassablement sur le fait de leur appartenance à la citoyenneté du pays. Donc, tout va bien.
Pluie sur Athènes, le 12 décembre |
Les medias, à l’instar des... origamis de la presse occidentale étant donc très à l’Ouest, remettent sur le tapis l’histoire du Grexit ; à savoir, de la sortie de la Grèce de la zone euro, “en cas de victoire aux élections très probables, du parti de l'extrême-gauche SYRIZA, la Grèce pourrait être amenée à quitter la zone euro, rien que sur la pression des marchés”. C’est à pleurer ou presque.
Et même sur France-Culture le ton est donné (par Thomas Cluzel): “Seulement voilà, ce que le Père Noël avait sans doute mal évalué, c'est que ce qui devrait être au départ un scrutin sans enjeu majeur, puisque le président n'a en Grèce qu'un rôle symbolique a pourtant aussitôt ressuscitée les pires craintes pour la zone euro, prévient THE FINANCIAL TIMES. (...) Or le risque à présent, c’est qu’avec cette annonce surprise du Premier ministre, l’élection du candidat désigné par la coalition gouvernementale est loin, très loin d’être acquise. L’élection d’un président requiert, en effet, le soutien de deux tiers des députés. Et si ce dernier tour n’aboutit pas, lui non plus, alors la Constitution grecque, rappelle le journal prévoit la dissolution du parlement et la tenue de nouvelles législatives anticipées. (...) Or dans un tel cas de figure, les sondages donnent à présent le parti d’opposition SYRIZA largement gagnant”.
“SYRIZA, c'est à dire ce parti de la gauche radicale, prévient LE TEMPS de Genève, qui ne cache pas son projet de tourner le dos à la troïka et surtout de détricoter les réformes en cours. C’est d'ailleurs sur ce programme, que SYRIZA a fait élire six des 21 députés européens grecs lors des élections de mai dernier, devenant ainsi la principale force politique du pays. Le chaos serait donc dans les parages, s'inquiète à son tour le journal d'Athènes TO VIMA. Un chaos qui ferait même d’ores et déjà trembler la City, à en croire THE FINANCIAL TIMES cité par le Courrier International. L’instabilité politique en Grèce a en effet déclenché cette semaine la plus forte baisse à la Bourse d'Athènes depuis les années 1980. Hier, la bourse a connu un nouveau plongeon atteignant une chute de près de 20% en seulement trois jours. Quant au taux d’intérêt sur les obligations d’État à dix ans, il est remonté à 9,3%, contre 3,5% en juillet”.
Thucydide en spectacle à Athènes, décembre 2014 |
“Et puis le spectre d’une arrivée de SYRIZA au pouvoir en Grèce hante également Bruxelles à présent. Au point que la Commission, qui pourtant affirme ne pas se mêler de la politique intérieure des États membres a dans une initiative inhabituelle d'ores et déjà apporté son soutien, au candidat gouvernemental, lui-même ancien commissaire européen”. Donc... nous l’aurons compris !
C’est bien connu. Ceux qui manipulent les dispositifs de la mécanique sociale, sont ceux du gouvernement (anciennement) invisible qui dirige véritablement nos pays. Mais depuis l’Âge des clashs, ils ne cachent presque plus. La peur et ses symboliques figurent parmi les armes de destruction massive du sens critique. Fatalisme, passivité, résignation et soumission sont escomptés. Vaste monde... dans sa petitesse. Les lucarnes de la télévision demeurent ainsi ouvertes, à travers nos pays aux citoyens... allumés. Et pourtant.
La... juste traduction à partir de l’affligeante novlangue, s’agissant par exemple du dernier paragraphe de la chronique de Thomas Cluzel n’est guère compliquée: Et puis, cette ultime dernière chance pour les Grecs assujettis, lesquels subissent une guerre économique totale à l’instar d’autres pays en Europe ou ailleurs, à savoir, d’élire un gouvernement SYRIZA hante le véritable centre décisionnel autocrate à Bruxelles, dans la mesure où avec SYRIZA il y a un certain (petit ?) risque d’incertitude pour le nouvel ordre mondial. Au point que la Commission, qui est à l’origine de la politique prétendument intérieure des États membres a dans une initiative tout à fait cohérente d'ores et déjà apporté son soutien, au candidat gouvernemental, lui-même ancien commissaire européen, une marionnette de plus entre ses mains.
Les deux camps. Guantánamo et le mémorandum de l'UE. Hebdomadaire “To Pontíki”, le 11 décembre |
Dans un dessin tragiquement satirique publié cette semaine par l’hebdomadaire “To Pontíki”, un torturé de Guantánamo pose alors la question suivante au prisonnier du camp voisin, personnifiant alors la Grèce entière: “Ils vous menacent-ils en utilisant les simulacres de noyade ?”. La réponse depuis le camp grec est sans équivoque: “Non, à nous, ils disent que nous ferons faillite si nous votons SYRIZA”. On retiendra déjà, que d’après les représentations du moment en Grèce, ce dernier vécu collectif est assimilé (et à très juste titre) à celui d’un univers concentrationnaire, un prisme évidemment jamais abordé par le journalisme mainstream, c’est à dire soumis.
SYRIZA à ma connaissance, n’a aucunement l’attention de sortir la Grèce de la zone euro. D’après Níkos, un ami cadre Syriziste: “à Bruxelles ils ont peur de SYRIZA, tout simplement parce que SYRIZA n'est pas leur enfant naturel à l’image des autres partis, il est seulement... leur enfant très fraîchement adopté”. Et parfois, nous n’avons même plus besoin de l’analyse de Níkos et de chaque Níkos, pour nous faire comprendre. Nos mimiques et autres minauderies alors suffisent dans un certain entre-soi politique, à la manière du Théâtre noir de Prague, qui est d’ailleurs représenté à Athènes en ce moment, tout comme les Ballets Russes, spectacle muet, qui peut donc être compris par tous les spectateurs, quelle que soit leur langue. D’où à mon avis, la portée de plus en plus discutable de la novlangue imposée.
Ballets russes et Théâtre noir de Prague à Athènes, décembre 2014 |
Pourtant le... Grexit se pratique déjà sans relâche dans un autre sens. Chrístos, le voisin chômeur à durée définitive, entrecoupée désormais par certaines périodes d’activité de quelques jours ou au mieux de quelques semaines, ne se passionne plus par la politique:
“De toute manière tout va s'empirer quoi qu'il arrive, moi, je vois et j'observe plutôt autre chose. Les départs des gens; car ceux qui le peuvent quittent alors ce pays. Y compris chez les plus âgés comme nous, et non plus seulement chez les jeunes. Antónis un ami, qui était entrepreneur dans la filière du bois a tout vendu et il vient de reprendre son activité près de Londres. Aidé par son cousin qui s’y trouve déjà et comme lui-même, avait déjà étudié en Grande-Bretagne, le chemin lui était ainsi tracé. Avec lui, son épouse et leurs deux enfants ont aussitôt suivi. Ils ne reviendront plus jamais en Grèce je crois... Malheur à nous autres !”.
Douceurs d'hiver. Près d'Athènes, décembre 2014 |
Slogan face à la mer: “Révolte”. Salamine, décembre 2014 |
Certaines douceurs athéniennes, essentiellement climatiques, comme celles de la semaine dernière peu avant l’arrivée des tempêtes et de la houle, ne retiennent plus aussi facilement... les enfants du Pirée. Théodoros, le fils d’un ami, achèvera ses études en 2015 et pourtant il hésite: “Je dois partir de Grèce, tout le monde me le dit et dans ma génération c'est l'exil massif, je ne sais plus... quitter mon cadre... me fait mal au cœur”.
Puis, nos amis... “A+B”, amis aussi et lecteurs de ce blog depuis sa création, viennent de nous envoyer leurs premières photos depuis l’Asie et plus précisément depuis le long Royaume de Thaïlande où d’ailleurs d’après les reportages, “L'épouse du prince héritier de Thaïlande, la princesse Srirasmi, a renoncé à son titre royal, a annoncé vendredi (samedi heure locale) le palais royal, première confirmation de sa disgrâce après l'arrestation de plusieurs de ses proches impliqués dans un scandale de corruption”. Ce n’est pas un voyage d’affaires et encore moins un séjour touristique, mais plutôt un départ éventuellement définitif, abandonnant à la fois la Grèce et l’espace dystrophique de l’Europe pour ne pas dire celui de l’Occident. De tout cœur, nous leur souhaitons bonne chance !
Près du Pirée, décembre 2014 |
Ils n’auront rien raté du dernier déversement propagandiste du moment et de tout moment à travers les chaînes de télévision athéniennes sur le “sérieux du candidat gouvernemental à la fonction du Président de la République présenté par Samarás”, agrémenté de souvenirs racontés par ses anciens amis d’école, de l’université, du service militaire ou de l’épicier de son coin et... des choux de Bruxelles. Et nos amis ne doivent sans doute pas comprendre, ni même peut-être vouloir suivre les medias de Bangkok me semble-t-il.
L’Europe alors... demeure. Cette semaine, mon ami Fóndas Ládis, poète, écrivain et journaliste, a présenté son nouveau livre, un recueil de poésie sous le titre: “Fascisme quotidien”. Aris Hadjistephánou, le réalisateur de Debtocracy visiblement ému, a présenté cette œuvre, il a également évoqué la si longue route de la chanson politique, entre les États-Unis et l’Europe en passant par la Grèce.
Notre soirée fut donc aussi musicale car de nombreux poèmes de Fondas Ládis sont devenues de chansons et cela dès les années 1960, par Míkis Theodorákis d’abord. Notre ami musicologue et éditeur de livres et de la revue Metronómos, Thanássis Sylivós, était de la partie, comme de nombreux autres amis que nous n’avions pas pu rencontrer depuis parfois un moment, tant la sociabilité athénienne est affectée en ce moment.
Aris Hadjistephánou et le livre de Fondas Ládis. Athènes, le 10 décembre |
Fóndas Ládis et Thanássis Sylivós. Athènes, le 10 décembre |
Poésie de Fondas Ládis mise en musique. Athènes, le 10 décembre |
Sur Athènes il pleut, et les habitants murmurent... derrière la montée de l’insignifiance. On se chauffe comme on peut sans chauffage central, sauf que la poésie ne nous manque pas.
Ainsi tout ira mieux, et le Père Noël avait sans doute mal évalué, ce qui devrait être au départ un scrutin sans poésie.
On se chauffe comme on peut. Athènes, décembre 2014 |
* Photo de couverture: Bangkok, décembre 2014. Photo envoyée par nos amis “A+B”