Grèce, moments de tempête et temps des premières fraises sur les étales. Les habitants de nos contrées soulagés en cette toute première nouvelle historicité savourent encore le moment propice. Car les instants opportuns dans l’histoire... ont bien la mémoire courte. Souriants ou réveillés comme pour nous arracher d’un cauchemar, nous ne savons plus si nous naviguons déjà au large, ou bien droit devant, vers la grande dépression. Peu importe, le pays connait cependant sa première éphorie depuis longtemps... l’Amérique en plus.
Temps de tempête près d'Athènes, 31 janvier 2015 |
Le voisin Chrístos se félicite encore de la nouvelle situation, mais il attend avec impatience un certain règlement... des dettes dont sa structure reste redevable depuis la faillite, “pour ainsi pouvoir redémarrer” comme il dit. Il attend autant et avec la même impatience, le moment où il sera de nouveau repêché par le filet de la Sécurité Sociale, exclu comme il est du système de Santé depuis 2011.
À l’instar de mon ami T., journaliste au chômage depuis bientôt un an et qui habite chez son épouse. Il se satisfait certes de la victoire de SYRIZA, sans trop pour autant le crier sur la toiture de son appartement du dernier étage, hérité de la génération des anciens d’après l’expression consacrée. Appartement d’ailleurs lequel semble vient de trouver acquéreur pour 45.000 euros, et pour une valeur estimée en 2010 dépassant les 100.000 euros.
Ma cousine A. et son mari, tous deux historiquement... nés au sein de la droite supposée classique (pour ne pas dire bien avant), n’ont pas voté en faveur de Samaras et de sa désormais désuète ex-Nouvelle démocratie en pleine crise existentielle. Ils se sont partagé la tâche, entre un bulletin SYRIZA et un autre ANEL (Grecs Indépendants de Kamménos). Et ils ont vu très juste. Étant de droite, ils sont très satisfaits de la nouvelle coalition gouvernementale anti-mémorandum et anti-troïka, car ce qui compte à leurs yeux, “c'est de nous débarrasser de Samaras, de Venizélos et des autres traîtres”. Et après ?
Fraises du Péloponnèse. Athènes, janvier 2015 |
C’est d’ailleurs chose faite pour ce qui est de la page tournée du gouvernement Samarás. Ce qui a changé, tient du “risque SYRIZA” désormais si bien concevable par la majorité des Grecs, contrairement à la campagne électorale de 2012. La paupérisation de la classe moyenne est passée par-là, mais aussi, ce sentiment pourtant si largement partagé, de vivre désormais sous une junte de la Troïka, sous un régime notoirement méta-démocratique.
“Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens”, affirme toutefois sans réserve (si ce n'est que de pure forme), le président de la Commission européenne cette semaine à propos de la Grèce (et implicitement à propos des autres pays... du bunker européiste). On a connu Jean-Claude Juncker plus conciliant quand, Premier ministre du Luxembourg, il autorisait des dizaines de multinationales à s’affranchir des législations fiscales des pays membres de l’UE, soulignent alors les rédacteurs à la revue “Politis”.
En effet les (dernières) masques tombent sous les effets du catalyseur SYRIZA. “Il ne sert à rien de vouloir opposer des pays de la zone euro entre eux, et surtout pas la France et l'Allemagne parce que de toute façon (...), les solutions qui pourront être trouvées pour accompagner la Grèce, tout en faisant en sorte qu'elle respecte un certain nombre d'engagements, passeront par un accord entre la France et l'Allemagne”, a déclaré de son côté Michel Sapin, pour ne pas faire oublier que le cœur de l’embarras européiste (et austéritaire), réside dans la relation entre certaines élites françaises et allemandes. Je sais que sur ce point, les Français eux-mêmes (et peut-être bien les Allemands), finiront par redéfinir le cadre par le seul moyen dont ils disposent encore, c’est à dire le vote, et cela, dans moins de cinq ans à mon avis.
Représentations allemandes du moment. Janvier 2015 |
La danse commence toujours ainsi en Europe. La Troïka serait morte, le nord de la Grèce est confronté aux plus graves inondations depuis bien longtemps... et les États-Unis, dépêcheront en Grèce une force opérationnelle économique, appelée “Task force” en anglais, par les medias grecques en tout cas.
D’après l’étymologie... historique, il s’agit d’une forme d'organisation temporaire créée pour exécuter une tâche ou activité donnée. Initialement créée dans la marine de guerre des États-Unis, le concept s'est répandu au point d'être à présent utilisé dans beaucoup d'organisations, telles que des entreprises, qui créent des forces opérationnelles pour exécuter des missions temporaires de protection et de surveillance.
En tous cas, pour ce qui est du cas grec, et suite aux récentes déclarations anti-austérité de Barack Obama, la presse d’Athènes tout en restant relativement discrète sur ce dernier sujet, rapporte que le “Chef de cette mission composée des représentants du Trésor américain, qui devrait visiter Athènes, sera le ministre adjoint des Finances, chargé des affaires européennes et eurasiennes, Daleep Singh”.
Près d'Athènes, le 31 janvier 2015 |
Inondations au nord de la Grèce. Février 2015 (presse grecque) |
Le quotidien “Avgí” (de SYRIZA), note qu’une “mission composée de membres de haut rang du Département du Trésor américain ayant l’expertise de la crise de la dette, est dépêchée par le président américain Barack Obama à Athènes, pour des entretiens avec le gouvernement grec. C’est bien cette équipe qui ira incarner le rôle de médiateur entre Athènes et Bruxelles, afin d’arriver à une solution mutuellement acceptable”.
“Rappelons que le président américain devrait se réunir la semaine prochaine avec la chancelière allemande Angela Merkel, dans la perspective du Sommet du G-7 qui se tiendra en juin en Bavière. Selon des informations, la question grecque deviendra probablement le principal sujet de débat entre les deux dirigeants” (Avgí du 2 février).
Et le prochain socialisme... ce serait alors, la fin de l’austérité, l’électricité rétablie pour les paupérisés, plus l’oncle d’Amérique ! Ainsi Paul Jorion commente cette dernière actualité en remarquant ceci: “La carte secrète de la Grèce, elle se trouve ailleurs. Tendez l’oreille, et prenez au sérieux la leçon d’économie de M. Obama hier dimanche: ‘on ne peut pas pressurer continuellement un pays en dépression: il vient un moment où doit intervenir une stratégie de croissance pour qu’il soit à même de rembourser ses dettes de façon à éliminer une part de son déficit’. Pourquoi ce ton encourageant de M. Obama envers la Grèce ? Parce qu’il doit y avoir quelqu’un dans son entourage à avoir lu le livre de Yanis Varoufákis, nouveau ministre grec des Finances, ouvrage intitulé ‘Le Minotaure planétaire’” (blog de Paul Jorion, le 2 février).
Animal adespote et... véhicule despote. Athènes, janvier 2015 |
Un terrain d’attente d’ailleurs annoncé, entre SYRIZA et les administrations Américaine et de l’UE, tient de la lute contre l’évasion fiscale des oligarques Grecs, ce que par exemple se refuse de faire chez lui et pour l’ensemble de l’UE Jean-Claude Juncker, et la raison est bien simple. Les oligarques Grecs, sont de taille moyenne, agissent en “semi-local”, entretenant un système politique (presque) aussi corrompu que celui du large reste, mais ne fixent pas les règles de la finance mondialisée.
En dépit de cette mise au point nécessaire, la sociométrie du peuple grec de gauche, et du peuple grec tout court, semble enfin vouloir mettre fin ou plus exactement modérer si possible, ces agissements pour tout dire criminels. Le chantier est si énorme, que la “guerre civile” contre SYRIZA risque d’être plus rude que sa course dans la nouvelle... géopolitique à la grecque, aux résultats pour le moment joyeux et néanmoins imprévisibles.
Image d'Athènes. Février 2015 |
Assez pertinemment alors, François Leclerc, estime que “l’équipe réunie par SYRIZA a déjà remporté une première victoire: elle a réussi là où François Hollande et Matteo Renzi ont échoué avec leurs tentatives timorées d’assouplir la stratégie gravée dans le Pacte fiscal. En prenant l’initiative, et en faisant preuve de fermeté, le dos au mur du défaut dont elle fait un instrument de chantage caractérisé, le gouvernement grec mène pour l’instant la danse là où les Italiens et les Français ont dû en rabattre, ayant fait la preuve du contraire. Qui l’eut crû ?”
“Mais pour que cette stratégie fonctionne, il fallait que la stratégie poursuivie par les dirigeants européens soit au bout du rouleau, ce que la BCE a entériné en lançant son programme massif d’achats de titres faute de mieux. L’ensemble de la situation européenne doit être prise en considération. Mais il reste vrai que les bêtes blessées sont dangereuses, même lorsqu’elles sont prises à leur propre piège: le dépit n’a pas besoin d’être amoureux pour être cruel”, (sur le blog de Paul Jorion).
Le livre de Vangélis Chérubin présenté à Athènes, Le 2 février |
Le dépit n’a pas besoin d’être amoureux pour être cruel, sauf que nous éprouvons cruellement ce besoin de faire la fête. Lundi février, les amis de la Radio 105,5 (SYRIZA) se sont réunis dans la salle “Poèmes et crimes” du vaillant éditeur athénien Gavrielidis, et c’était à l’occasion de la présentation du livre de Vangélis Chérubin.
Il s’agit de la légende des temps... médiévaux au pays de la “Grekonie” et des princes “Mémorisées” et Troïkans, une émission d’abord quotidienne sur les ondes de la Radio 105,5, qui devient ainsi disponible en version... livresque, en plus du CD des émissions diffusées jusqu’alors ce temps nouveaux (que nous respirons depuis ce 25 janvier). Tout y est. La dérision, les symboliques et une créativité indéniable pour ce qui est du contexte linguistique et symbolique, alors retravaillés. Pour Vangélis Chérubin, “le récit, c’est à dire l’émission se poursuit. Mais enfin, nous devons nous attendre à un épilogue juste”.
Cette soirée fut chaleureuse, la salle était bondée, tout le monde a apprécié l’humour, la création, l’intelligence comme le bonheur. Certains ont visiblement apprécié aussi qu’enfin le pouvoir (gouvernemental) soit enfin aux mains de la gauche radicale et des Grecs Indépendants de la droite anti-mémorandum et cela se voyait. Vangélis Chérubin s’est plaint tout de même... que d’avoir perdu certains bons amis “puisqu'ils sont devenus ministres”, moments d’humour et d’accalmie entre deux vagues de l’histoire.
Les barrières enlevées place Sýntagma, le 28 janvier. |
Les moments de transition sont toujours d’un goût inoubliable. Cette semaine encore, nos dirigeants... Tsipriotes sillonneront encore l’Europe des contacts officiels. Alexis Tsípras se rend entre autres, à Nicosie, à Rome, à Paris et à Bruxelles. Mais entre... Poèmes et Politique (et) comme le remarque à son tour mon ami Olivier sur son site Okeanews, on se met à revivre car “c'était sans doute la plus belle image de la journée à Athènes. Après plus de deux ans présentes pour 'protéger' le Parlement de son peuple, les barrières ont enfin été enlevées ce matin place Sýntagma. Un symbole”.
Dans le “Financial Times”, l’universitaire britannique Mark Mazower, spécialiste de la Grèce et de l’histoire du fascisme, propose une analyse de la victoire du parti de gauche SYRIZA en Grèce, “dans une Europe menacée par l'avènement des partis d'extrême droite”. Un commentaire en forme de mise en garde. L’historien souligne que les nations endettées proposent une autre “vision morale”, à savoir que “la rigueur n'est pas une politique. Et si l'on veut que la finance contribue à aider l'Europe plutôt que de la ruiner, il faudra restaurer une certaine notion d'intérêt général”.
Sans cette prise de conscience, les conséquences potentielles sont évidentes, selon Mazower: “la poursuite de l'effritement du centre politique, l'avènement de l'extrême-droite, voire la désintégration de l'Union européenne”, l’intégralité de cette analyse traduite en français, est consultable sur le site Okeanews.
Je suis plus réservé que Mark Mazower s’agissant du sort... dernier de l’Union européenne. Jusque-là, ses peuples erraient, seuls ou par... couples, dans cet étroit enclos avec une résignation morne d’aliénés inoffensifs. La suite reste donc à écrire.
Sauf que parfois, certaines forces nous empêchent d’écrire correctement l’histoire ou sa poésie... ce blog n’y échappe pas.
Certaines forces nous empêchent d’écrire l’histoire. Février 2015 |
* Photo de couverture: Moments de tempête. Près d'Athènes, janvier 2015