Vie prétendument paisible. Athènes sous le soleil, les nuages couvriraient plutôt Bruxelles et Munich, d’après une large partie de la presse grecque. Ils nous font “boire la coupe amère”, titrait en début de semaine le quotidien systémique “Ta Néa”, c’est pour dire. Devant les kiosques, certains athéniens lisent les gros titres de la presse sportive, question et aporie d’époque. “La Grèce ne formulera guère d'autres propositions”, telle semble être la position du gouvernement d’après les medias... jusqu’à la fin de la semaine.
La coupe amère. Quotidien “Ta Néa”, le 8 juin |
Au centre d’Athènes, les touristes se font photographier dès le matin et non sans fierté devant la fontaine de la Place de la Constitution. En face du Parlement, c’est par un campement symbolique qu’une poignée d’étudiants, protestent contre la suppression de la possibilité qui leur avait été accordée, leur permettant de poursuivre leurs études près du domicile de leurs parents. Campement très... symbolique.
Un graffiti indélébile entre ombre et lumière, rappelle l’essentiel de la volonté des Grecs: “Nous ne voulons plus être sauvés”, par les “institutions” bien entendu. Les passants iront peut-être travailler, les mendiants de la nécrose sociale restent ignorés de tous, et les quasi-oisifs et autres heureux retraités de la fonction publique surtout, remplissent les cafés. “Ils peuvent alors encore refaire le monde, tant que le leur ne s'est pas encore effondré”, entend-on ici ou là. La retsina sociale tourne au vinaigre.
Ce quart économiquement réellement existant de la population se distingue de plus en plus de la grande masse des paupérisés, s’agissant surtout des chômeurs et des employés pressurés du secteur privé et de tous ceux qui sont obligés d’inventer l’impossible au jour le jour, pour enfin survivre et peut-être passer le cap de la semaine, puis du mois prochain. Société aussi disloquée par la crise, autrement-dit, l’occupation imposée par les détrousseurs locaux ainsi que par ceux de la dette astronomique.
Au centre d'Athènes, les touristes. Le 8 juin |
En face du Parlement, une poignée d'étudiants. Athènes, le 8 juin |
Les mendiants de la nécrose sociale. Athènes, le 8 juin |
Puis, c’est l’accélération. Accord en vue, Aléxis Tsípras rencontrant Jean-Claude Junker, Angela Merkel et François Hollande, réunions, contre-réunions, le FMI mécontent à la volonté affirmée de quitter au plus vite le... bourbier grec, après avoir retiré ses billes... et ayant laissé sur place tous les impacts des balles tirées contre l’économie réelle et contre la société grecque.
“En fait - écrit Jacques Sapir sur son blog - c’est l’Eurogroupe, et en son sein l’Allemagne, qui se trouve en panne de stratégie. Donne-t-il raison à la Grèce, accepte-t-il une renégociation globale de la dette avec une annulation d’une parie de cette dernière, et immédiatement il verra l’Espagne, le Portugal, l’Italie et peut-être même l’Irlande demander des conditions analogues à celles qui ont été consenties à la Grèce. Maintient-il sa position intransigeante et il risque la rupture, avec un défaut grec, et un processus de dislocation de la zone Euro qui commencera très vite. C’est ce qui explique le caractère chaotique des négociations actuelles”. Et en Grèce, les medias prédisent chaque jour, le probable prolongement du programme grec sur neuf mois. Une gestation pour alors passer l’été, puis l’hiver, belle météo !
SYRIZA... de l’envers, comme SYRIZA de l’endroit, sont en ébullition. Pour Dimítris Belandís, membre au Comité central du parti, appartenant de sa mouvance dite ‘Plateforme’ de Gauche, “les deux projets d'accord, c’est à dire, celui de la Troïka et l’autre, long de 47 pages rédigé par le gouvernement grec, sont exprimés malheureusement, dans ce même jargon international du néolibéralisme, celui des institutions capitalistes de la mondialisation, en voici donc quelques extrais... à la sémantique fort éloquente: ‘bonnes pratiques’, les ‘meilleures normes de l'UE’, ‘boite à outils et aide de l'OCDE’ et bien d'autres”, texte publié sur le site officiel de la Plateforme de gauche cette semaine.
Une certaine vision de la solution. “Quotidien des Rédacteurs”, juin 2015 |
Une certaine image... de la solution. Sans-abri au centre d'Athènes. Juin 2015 |
“Ces deux projets d'accord, poursuit Dimítris Belandís, les cinq pages en anglais des ‘institutions’, tout comme les 47 pages également griffonnées dans un anglais assez approximatif, ont alors ce point de départ commun, l'hypothèse ainsi suivante: les restructurations doivent se poursuivre en Grèce, conformément aux vues des créanciers et de la troïka et le programme néolibéral en cours doit être poursuivi et accompli”.
“Les créanciers estiment de leur côté que ce processus doit être dur, appliqué très violemment et brusquement, entre autres, en réduisant davantage les salaires et les pensions, par les privatisations, et par l’énorme augmentation de la fiscalité indirecte, touchant essentiellement les travailleurs et les classes moyennes. La seule différence est en somme minime: selon le plan du gouvernement grec, ce processus devrait être ralenti ; néanmoins il n’est jamais remis en cause, une continué donc décisive. La réponse à ‘l’Hybris’ imposée par les créanciers ne peut donc pas être cette ‘Némésis’ des 47 pages du gouvernement grec, introduisant par la fenêtre, ce mémorandum enfin censé être exclu et évacué par la porte”.
Non au mémorandum, 1-2-3. Syndicat PAME (PC) devant le ministère des Finances, Athènes, le 10 juin 2015 |
“Comme elle avait un temps existé une Gauche communiste avant SYRIZA, il y en aura toujours une après SYRIZA, si les choses... vont vraiment mal. On comprend ; il n’est donc plus question, à travers notre méta-modernité actuelle, d’un retour à la démocratie radicale, voire, à la démocratie standard et parlementaire tout court. Tout cela se transforme alors en spectacle, conformément on dirait à la définition de Guy Débord”. “Nos matériaux au sein de SYRIZA ou après SYRIZA, seront entre autres, le refus, tant de la politique professionnelle, que des petites ou grandes bureaucraties, conventionnelles ou non”.
Café en faillite. Athènes, juin 2015 |
Appel à manifester datant d'avril 2015. Athènes, juin 2015 |
Jamais de travail le dimanche. Athènes, juin 2015 |
“Le mémorandum, ne peut pas être abrogé par un seul article de loi”, déclare de son côté Nikos Fílis, porte-parole parlementaire de SYRIZA, interviewé par thepressproject.gr.
Dissemblances ? Cependant, plus de 25.000 vies ont été... radicalement abrogées en Grèce depuis et par le mémorandum, dont, dix mille suicides d’après les estimations des médecins. C’est alors essentiellement en cela que la fête de la réouverture de l’ERT (radiotélévision publique), deux ans exactement après sa mort subite imposée par le gouvernement Samaras, a été pour ainsi dire gâchée.
ERT retrouve son nom et peut-être bien son identité. Athènes, juin 2015 |
ERT, Athènes, juin 2015 |
Aspasia, épouse de Yannis, tous deux gens du quartier, vient de retrouver un travail après deux ans de chômage. Elle gagne à peine 600 euros par mois en net, au lieu de 1.100 euros avant le mémorandum, pour un travail et temps consacrés alors égaux. Tous les soirs ce dernier temps, elle rentre de son travail en larmes: “Je ne serai pas encore payée ce mois-ci. Le patron attend l'accord entre la Troïka et le gouvernement pour ‘pouvoir faire quelque chose’ comme il dit. Le secteur privé est asphyxié, il agonise, nous mourons. Les entreprises n’ont plus de liquidités, les banques sont moribondes, l’État ne paye plus aucun fournisseur depuis six mois. Je m’en fiche de l’ERT, de ceux de l’ERT, des fonctionnaires pour le dire ainsi. Ils sont toujours rémunérés, les gouvernements feront tout pour les garder ‘au chaud’, il s’agit bien de leurs électeurs. Mon mari qui est petit artisan pense encore qu’au mieux, il tiendra le coup jusqu’à l’automne prochain, guère davantage. Qu’allons-nous devenir ? Nous avons déjà 50 ans...”
Opinion et représentations largement partagées en Grèce, surtout en ce moment. Société disloquée, ou presque. Derrière le double rideau de la fête comme du désastre, il y a heureusement ceux qui se battent concrètement sur le terrain. Ceux par exemple du Centre médical solidaire d’Ellinikón près d’Athènes, inauguré en 2011, d’après une initiative du cardiologue Yórgos Vichas.
Athènes, juin 2015 |
Sur ce blog, j’avais déjà lancé un appel il y a voilà six mois pour que de donations, uniquement sous forme de médicaments puissent parvenir à Ellinikón. Des amis et lecteurs du blog m’ont ainsi adressé des colis depuis l’hiver dernier. Récemment, grâce à l’ami du blog Jean-François Aupetigendre et par l’action concrète via ses compagnons engagés, plus de 7m3 de matériel médical et de médicaments, ont été acheminés jusqu’à Ellinikón. Je tiens à les remercier aussi de mon côté pour ce geste essentiel.
Je remercie à cette occasion, les amis de ce blog qui le soutiennent comme ils le peuvent depuis sa création. Hélas pourtant, je me dois renouveler l’appel aux donations pour le blog greekcrisis... en ce sixième juin ensoleillé de la crise grecque. il tiendrait alors le coup jusqu’à l’automne prochain, guère davantage !
Ce matériel (destiné aux hôpitaux) en tout cas, a trouvé déjà place dans quatre hôpitaux en Grèce et cela dans quelques heures seulement, tant les carences demeurent cruelles. Je précise, qu’à cause du mémorandum, “du programme en cours”, de nombreux hôpitaux grecs fermeront tout simplement par manque de moyens, la Troïka a jusque là refusé au gouvernement grec, une (petite) enveloppe... extraordinaire de deux milliards d’euros au bénéfice du système de santé. Les créanciers estiment certainement de leur côté que ce processus doit être dur, appliqué très violemment et brusquement, comme le souligne alors Dimítris Belandís.
Le centre médical à Ellinikón. Athènes, juin 2015 |
Centre médical et solidaire d'Ellinikón. Juin 2015 |
Centre médical d'Ellinikón. Athènes, juin 2015 |
Yórgos Vichas, les bénévoles d'Ellinikón et nos amis ayant acheminer depuis la France ce matériel. Juin 2015 |
Je me souviens enfin de Dimítris Belandís lors d’une réunion préélectorale SYRIZA en janvier 2015. “Si SYRIZA échoue, alors toute la gauche échouera”, disait-il. Le temps historique qui est le nôtre s’accélère et se contracte. Du déjà vue historique, l’historien Olivier Delorme pense qu’il y aurait un parallèle à établir avec les années 1930.
Cette préoccupation d’actualité avait été exprimée aussi par notre formidable public lors du débat que j’ai co-animé avec mon ami et confrère historien (Olivier Delorme) à Lexikopoleío à Athènes, Mercredi 10 juin. Le thème abordé était (et le demeure toujours) celui des échanges et les malentendus ente la Grèce et l’Europe occidentale, j’y reviendrai aussi prochainement sur ce blog.
Débat à Lexikopoleío, Olivier Delorme, Panagiótis Grigoríou. Athènes, le 10 juin |
Débat à Lexikopoleío, Athènes, le 10 juin |
Juin bientôt finissant. “SYRIZA, est-ce bien le début d'un autre cycle ou sinon, la fin d'un cycle inauguré par le mémorandum de 2010 ?”, interrogation subséquemment formulée par Olivier Delorme, question ouverte... et sans doute bientôt fermée ou autrement... comblée.
C’est ainsi qu’à Athènes c’est derrière un certain flou artistique et un fondu social, que l’on... exécute du bouzouki à l à l’honneur des touristes, sollicitant de l’attention et surtout quelques pièces.
Bel été. Les cinémas en plein air proposent parfois ces films curieux de l’autre siècle, dont “Plein Soleil” avec Alain Delon, Marie Laforêt et Maurice Ronet, réalisé comme on sait par René Clément, et sorti en 1960. Notre belle radio du troisième programme et de l’ERT diffuse du Paganini, tout n’est pas perdu ou pas encore gagné.
En ville toujours, des affiches dénoncent les empoisonnements répétés dont sont victimes nos animaux adespotes, et lançant un appel pour que les coupables soient identifiés et déférés devant la justice. “Demain, ces gens empoisseront alors vos enfants”.
Du bouzouki à l’honneur des touristes. Athènes, juin 2015 |
Du bouzouki à l’honneur des touristes. Athènes, juin 2015 |
Plein Soleil réalisé par René Clément. Athènes, juin 2015 |
Affiche dénonçant les empoisonnements d'animaux adespotes. Athènes, juin 2015 |
L’actrice Constantína Savvídi n’est plus de ce monde. Athènes, juin 2015 |
L’actrice Constantína Savvídi. |
L’actrice Constantína Savvídi n’est plus de ce monde depuis peu, et ce sont les murs qui nous l’apprennent. Athènes, plein et triste soleil.
Un animal adespote (ou plutôt deux), forcement ignorants des affaires humaines, posaient l’autre jour devant l’entrée d’une pharmacie, plus exactement, devant une réclame faite au bénéfice d’une marque dont la désignation rappelle alors très fortement celle de la Troïka.
Vie prétendument paisible.
Un adespote forcement ignorant des affaires humaines. Athènes, juin 2015 |
* Photo de couverture: Athènes, juin 2015