Greek Crisis
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Friday 3 July 2020

The blason of Greece
Le blason de la Grèce



La vraie vie nous regarde inlassablement d’en haut à sa manière. Au plus profond possible du pays réel, on découvre encore un peu de ce parcellaire élémentaire de la Grèce. Ce parcellaire très précisément que les visiteurs du siècle dernier avaient vu et connu alors intact et cela pour la dernière fois. “Décomposez la Grèce et vous verrez qu’il ne restera pour finir qu’un olivier, une vigne et un bateau. Autrement dit, avec les mêmes éléments, vous pouvez la recomposer”, écrivait Odysséas Elýtis, poète du Prix Nobel en 1979.

Le pays réel et sa rouille. Argolide, juillet 2020

On y découvre même les scories et la rouille des objets usuels comme usés, ramassés sans doute par principe et encore. Vie en recul relatif, animaux de trait sollicités au rythme des approvisionnements et pourtant, il y de cette télévision qui fonctionne... contre le large, ceci grâce aux panneaux solaires. Les générateurs quant à eux, ils servent surtout et d’abord pour faire fonctionner la pompe qui amène l’eau récupérée de la pluie, du réservoir à la maison.

L’eau ici n’est pas très courante, les robinets sont à l’ancienne, résumant alors à leur manière cette autre modernité. Yórgos et Eléni n’ont pourtant pas l’habitude de se plaindre. “Nous nous occupons des oliviers, nous avons nos chèvres, sauf que le service archéologique nous a fait détruire notre salle de bain aux sanitaires rajoutés, pourtant la nouvelle pièce nous l’avons construite collée au reste de la maison, sans dépasser notre terrain. Ils veulent nous faire partir d’ici pour installer je ne sais plus quoi”.

Il y a eu même un projet d’éoliennes lequel n’avait pas gêné le service des archéologues, il a été gelé pour l’instant, nous prions la Sainte Vierge ainsi que Saint Nicolas pour que ces gens ne reviennent plus jamais dans notre petit coin. C’est un paradis ici, un paradis bien coriace il faut l’admettre, mais entre nos arbres, nos bêtes et notre caïque pour pêcher, il n’y a plus grand-chose à craindre... à part peut-être la mauvaise maladie”.

Les robinets à l’ancienne. Argolide, juillet 2020

Notre caïque pour pêcher. Argolide, juillet 2020

Nos oliviers. Argolide, juillet 2020

L’église d’en haut est souvent entourée, les animaux sont de la partie, le vent souffle et l’on contemple alors la mer et les cieux à volonté. Les nouvelles du pays d’en haut comme celles du monde d’ailleurs font toutefois irruption tel un viol, rien que pour déstabiliser cette dernière terre ferme aux hommes ouverts. Sinon, on s’occupe des bêtes encore et toujours, et au besoin, l’unique famille voisine, celle des cousins, viendra aider au démarrage assisté du petit tracteur.

Yórgos n’aime plus les politiques, il espère finir sa vie ici sans plus suivre “ce qui s’y passe aux pays des traîtres”, exactement à quelques mètres seulement de l’ancienne maison dans laquelle il est né il y a 75 ans. “J’y suis né, puis nos enfants y sont nés également, parfois le médecin venait de loin rien que pour nous, ce n’était pas la règle à l’époque. Ensuite mes enfants sont partis travailler dans la marine marchande, puis au Pirée et dans l’île d’en face. Ils ne reviendront plus jamais vivre ici, ma femme et moi nous serons alors les derniers à naître et à mourir ici. C’est peut-être un privilège que Saint-Nicolas voudra peut-être bien nous accorder”.

Je me trouve un peu... et par la force des choses sur les traces de Jacques Lacarrière dans son “Été grec”, celui des plénitudes, ou sinon dans ses “Chemins d’écriture”. “Un olivier, une vigne et un bateau. Le blason de la Grèce. C’est avec lui, avec eux que j’ai vécu là-bas, surtout dans les dernières années quand j’habitais Pátmos. Je faisais de fréquentes promenades dans l’île et je peux dire que j’en connaissais les plages les plus secrètes, les moindres recoins, tous les arbres”.

L'église... entourée. Argolide, juillet 2020

La maison de jadis et de toujours. Argolide, juillet 2020

Vivre dans une île grecque, contrairement à l’idée qu’on peut s’en faire, n’est pas du tout synonyme de vie paradisiaque. Pour s’y garder intact, pour maintenir l’intégralité et l’autonomie de son être face aux mille tentations insulaires, il faut une discipline quotidienne. Oui, une île grecque - surtout dans les Cyclades ou le Dodécanèse - est une tentation permanente de plages, de mer, de soleil, d’odeurs, de couleurs, de laisser-aller, de farniente. Si l’on veut y maintenir intacts ses désirs et sa volonté - par exemple écrire ou travailler concrètement, régulièrement à quelque chose - il faut connaître la différence vitale qui existe entre la vie contemplative et la vie végétative”. Jacques Lacarrière, “Chemins d’écriture”, “Terre humaine”, collection d’études et de témoignages fondée et dirigée par Lean Malaurie, édition de 1988.

Ou comme l’écrivait le poète Yórgos Séféris: “J’ai maintenu ma vie, en chuchotant dans l’infini silence”. Yórgos et Eleni connaissent Séféris pour son œuvre du haut de l’École élémentaire mais substantielle bien de leur temps. Je leur ai parlé de Lacarrière, ils ne le connaissaient pas. “Ah... oui, en ces autres temps certains voyageaient encore vraiment, pas comme en ce moment du tourisme souvent de pourriture. Les gens qui venaient par exemple en embarcation alors montaient nous découvrir depuis la baie ; ils caressaient nos ânes et parfois nos rêves, nous racontant des histoires de leurs autres contrées. Ce n’est plus le cas”.

Démarrage assisté du petit tracteur. Argolide, juillet 2020

Chuchoter même dans l’infini silence n’est plus de notre temps. Car l’autre nuit vers une heure du matin, un zodiac de taille est arrivé dans la baie, à bord cinq à six jeunes gaillards en train visiblement de se droguer et de boire, mettant de la musique classique au diapason jusqu’à trois heures du matin, du Wagner surtout. Pour Yórgos et pour Eleni, Wagner ne leur disait pas grand-chose non plus, sauf qu’ils reconnaissent la langue allemande. Les piètres histoires de l’Occupation allemande sont passées par là, car c’est autant de l’histoire amère comme... familière, pour ne pas dire familiale en cette Europe de la finitude, pour ne pas dire finie. Ces gens du zodiac parlaient en tout cas allemand, hongrois, anglais, un peu français et un peu italien, jeunes gens issus visiblement de la classe des supposés hyper riches “qui s’amusent”, venus des lieux chics d’à côté. Hallucinant. Le temps où certains des classes aisées et moins aisées venaient en Grèce récitant Homère est alors définitivement passé.

Le silence qui n’est plus infini est enfin revenu, sur la plage on y découvre de la poterie d’il y a un siècle sachant que cette Argolide qui n’en finit pas d’exister est alors habitée par l’homme depuis quarante mille petites années. Ce n’est pas rien et c’est peut-être tout, plus les moindres recoins autant que tous les arbres.

De la poterie d’il y a un siècle. Argolide, juillet 2020

L’histoire s’arrête, l’actualité n’a plus de sens. Yórgos et Eléni nous ont offert deux de leurs melons, en plus de l’hospitalité ainsi digne de l’époque de Séféris, d’Elýtis et de Lacarrière réunis. Melons... il faut dire sitôt adoptés par notre Mimi du haut de ses 17 ans.

“Décomposez la Grèce et vous verrez qu’il ne restera pour finir qu’un olivier, une vigne et un bateau. Autrement dit, avec les mêmes éléments, vous pouvez la recomposer”. Les blasons du pays.
Notre Mimi. Argolide, juillet 2020


* Photo de couverture: La vraie vie. Argolide, juillet 2020